Boulanger ou l’obsession de l’autoportrait par Luis Porquet (Evreux, France)
Boulanger ou l’obsession de l’autoportrait.
Métamorphose est le titre sous lequel David Boulanger présente, à la Cave d’Arts, une étonnante série d’autoportraits où s’immiscent le burlesque et une forme d’autodérision. Le peintre y fait montre d’un goût marqué pour l’art du déguisement. Le ton a quelque chose de shakespearien et l’hommage appuyé à Rembrandt rend la démarche profondément intéressante. Ces tableaux où dominent les terres d’ombre composent avec l’étrangeté, se situant quelquefois à la lisière du fantastique.
La peinture de David Boulanger a quelque chose d’intemporel et de déroutant. La Cave d’Arts de Louviers, qui, du 4 mai au 16 juillet, présente 67 de ses oeuvres, lui consacre ses trois niveaux. Au rez-de-chaussée, on est littéralement happé par la réplique qu’il donne du Boeuf écorché de Rembrandt, peinture que le poète René Char considérait comme un soleil, au sens le plus inspirateur du terme. Cette oeuvre monumentale dégage une telle puissance que l’idée même d’en faire une nouvelle version paraît relever de la gageure. Mais David Boulanger s’en est dignement acquitté, comme il a pu le faire des portraits revisités de son illustre auteur, Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669), qui montra pour l’autoportrait une certaine prédilection. Le fait pour un artiste de devenir son propre modèle n’est pas rare. L’histoire de l’art en donne d’assez fréquents exemples. Chez David Boulanger toutefois, l’affaire prend un tour relativement singulier tant le peintre aime à se montrer sous des oripeaux différents. Nous n’y voyons personnellement aucune marque de narcissisme mais la volonté de pousser l’exercice jusqu’au bout, voire jusqu’à l’absurdité. Le voici tour à tour sous les traits d’Alexandre le Grand, de Bonaparte, d’un clown ou d’un cyclope à l’oeil unique. On le découvre encore portant un bonnet d’âne, un soulier, une casserole ou une truelle sur la tête, quand ce n’est pas un couteau ou un clou dans le crâne… Ailleurs, il est auréolé, affublé d’une tête de cheval ou d’une oreille greffée en plein milieu du front. Ce visage dont l’aspect varie imperceptiblement finit par devenir obsédant, inquiétant, voire burlesque, suscitant une certaine dérision dans cette fantomatique et prolifique galerie de « trognes ». Du clown au clone, il n’y a quelquefois qu’un pas que certains scientifiques ne sont pas même conscients de franchir, tant leur soif de pouvoir et de domination aveugle leur jugement.
A la fois patinée et brillante, la peinture de David Boulanger paraît se situer hors du temps, refusant le diktat d’un certain art contemporain. D. Boulanger va même jusqu’à se représenter sans tête ou cette dernière entre les mains, ce qui suppose tout de même une bonne dose d’humour noir. La capacité de rire de soi-même est un phénomène assez rare pour que cette attitude retienne notre attention, tout comme cet hommage permanent à Rembrandt, le grand maître hollandais que Boulanger visiblement admire avec une certaine dévotion. Chez ce jeune artiste (il est né en 1971), tout part d’un frénétique désir de peindre et de se placer dans un certain état d’esprit. Sous son apparence sans cesse changeante, son personnage demeure identifiable grâce au mince filet de barbe lui entaillant le menton. Dénoncer la farce sociale et l’effrayant jeu de rôles qu’elle propose à la vanité de chacun semble être l’une de ses visées. Au-delà, l’exercice demeure proprement pictural, à travers des contraintes surmontées du glacis, de l’ombre et de la lumière, véritable pari pour l’artiste qui avoue associer « rêverie et métamorphose » par le biais d’un traitement relativement savant de la matière. Qu’il soit anachronique ou non (l’exigence serait-elle donc devenue un symptôme réactionnaire ?), peu nous importe. L’intérêt d’une démarche artistique provient de sa capacité à mettre en question le réel qui, la plupart du temps, tend à se confondre avec la part la plus grossièrement visible des choses. Si l’habit ne fait pas le moine, la parure et le strass ont encore de beaux jours devant eux. Les magazines sont là pour le prouver.
Présentée pendant dix semaines, l’exposition de David Boulanger sera suivie d’une manifestation consacrée à Gérard FROMANGER du 15 septembre au 26 novembre 2006. Ce sera l’évènement de l’année à La Cave d’Arts et dans le Département de l’Eure.
Luis Porquet, Parution le 5 juillet 2006 dans « Actualités des Arts ».
Luis Porquet est un poète, écrivain, parolier, journaliste et critique d’art français. Il est né à Elbeuf le 23 février 1949, d’un père espagnol et d’une mère normande. Wikipédia
Galerie La Cave d’Arts
11 rue du quai
27400 Louviers